Carnets du Népal : la (re)découverte de la prière… dans les airs

Comment vivez-vous le voyage ? Aimez-vous prendre des photos, figer l’instant présent ? Préférez-vous tenir des carnets, y noter vos impressions, vos ressentis, la trace de chaque émotion traversée ?

Notre rédactrice de Dieu dans la garde-robe s’est lancée dans l’écriture d’un carnet de bord lors de son voyage au Népal. Elle nous partage son vécu, ses réflexions sur la spiritualité, et sa (re)découverte de la prière, ici dans les airs. Extrait.

 

L’écran de bord indique que nous survolons New Delhi, mais derrière le hublot tout n’est que volutes dorées et traînées de nuages noyées dans la lumière du soleil couchant. Difficile d’imaginer la vie qui grouille sous cet océan de coton, les millions d’âmes respirant un même air, le dédale de ruelles résonnant de leurs rires et de leurs pleurs sous le silence du ciel. Pourtant, celui-ci s’apprête à se percer pour me plonger dans un monde dont je ne connais à ce stade guère plus que le nom : le Népal. voyage Népal spiritualité

Ce qui pousse la jeune pro assez ordinaire que je suis vers ce petit bout de Terre blotti à l’ombre du Toit du monde ? Un mariage. 

Six mois auparavant, quelques mots sont venus bouleverser mon quotidien bien rythmé : “Nous serions heureux de partager avec toi ce grand jour… Quelques lignes derrière lesquelles se cachait tout un monde de souvenirs. Shreyasa, la colocataire de mes années étudiantes, la compagne de mon passage à l’âge adulte, l’amie perdue de vue après que le temps et l’éloignement géographique avaient doucement fait leur œuvre, m’invitait à reprendre le fil de notre histoire et à faire partie intégrante de la sienne. En la regardant s’unir, devant des dieux différents du mien, à son amour de toujours lors d’une cérémonie hindoue en plein cœur de Katmandou. 

Je souris en repensant à ce courrier inattendu, et au “oui” ébahi qui a suivi. Il est en réalité bien là, le début du voyage. Non pas dans l’instant d’ivresse où les roues lancées à pleine vitesse décollent du tarmac, mais plutôt dans cette entrée tonitruante du passé dans mon présent, un soir de février. Dans ce faire-part qui, au-delà de me convier à un heureux événement, travaillait déjà à renouveler en moi le sens du mot amitié et m’invitait à un voyage intérieur. voyage Népal spiritualité

Arrivée dans 1h09, affiche le compteur. Ce sont donc mes derniers moments de solitude avant 10 jours. De quoi seront-ils faits ? Si le programme officiel envoyé par les fiancés m’en apprend les contours, je suis impatiente d’en connaître les couleurs et les reliefs. 

Dans l’avion pour Dubaï, première escale de mon odyssée vers l’Asie du Sud, je me suis amusée à retrouver une à une les sensations enfouies mais pourtant si familières de la nuit sur un vol long courrier. Le silence tout d’abord, l’atmosphère ouatée induite par le ronronnement des moteurs et des climatiseurs où tout, du cliquetis des chariots aux toussotement du voisin, semble appartenir à un monde lointain. Et l’étrange sommeil qui s’ensuit, bref mais pourtant si profond. voyage Népal spiritualité

J’émerge d’ailleurs au moment où j’écris ces lignes de l’une de ces torpeurs aériennes, desquelles on se réveille sans plus trop savoir où l’on est ni où l’on va ! Ce sont elles qui achèvent de nous affranchir de nous-mêmes et de notre ordinaire. 

L’état d’hébétude dans lequel elles nous laissent est peut-être la meilleure des préparations à la rencontre avec un autre morceau du monde et ses habitants. 

Car pour pouvoir s’attacher à un nouveau monde, il faut d’abord se détacher du sien. Un exercice bien moins évident qu’il n’y paraît, dans une société où le “lâcher-prise” est pourtant de mise ! Difficile en effet de s’extraire de son quotidien, de s’envoler vers un ailleurs bien plus abstrait que la facture à payer, l’e-mail à envoyer ou le dossier à boucler… Prendre la route, c’est avant tout accepter de faire de soi une page blanche prête à accueillir une nouvelle histoire – à l’image de ce carnet encore vierge dont j’entends bien voir les pages se noircir au fil des jours ! 

En entreprenant ce grand voyage, ce n’est pas seulement une nouvelle région du monde que je découvre, mais également une partie de moi que je retrouve, plongée en hibernation pendant plus de deux ans de pandémie. Au-delà de l’expatriée bien installée que je suis devenue, je retrouve la nomade que j’ai été pendant près de 10 ans. Je songe à cette jeunesse passée entre trois pays, trois continents et autant de langues étrangères ; à ce hasard qui a poussé la petite fille timide que j’étais à s’envoler vers d’autre horizons, à l’aube de l’adolescence. 

Mais ceci est une autre histoire. Présentement, je goûte simplement à la sensation retrouvée du voyage. J’ai beau ne rien connaître de ma destination, le seul fait d’être en mouvement est pour moi une patrie. J’ai toujours vu la route comme un espace de grande liberté. Connaissez-vous beaucoup d’autres moments où nos vies modernes nous offrent le luxe d’être ainsi déconnectés ? Cette inaction forcée est pour la citadine affairée que je suis une bénédiction autant qu’un défi. 

Un verset de l’évangile de Luc vient alors se glisser dans le pêle-mêle de mes pensées : “Seigneur, apprends-nous à prier. » [1] Une imploration vieille comme le monde ou presque qui tout à coup me fait songer : 

Et si les 20 heures qui venaient de s’écouler avec l’inconnu pour seul horizon n’avaient été qu’une seule et longue oraison ? Et si je n’étais pas seulement en train de divaguer, mais également… de prier

Croyant comme athée, un vol long courrier nous pousse par définition au silence et à la confiance (ne serait-ce qu’envers le savant équilibre de forces qui nous maintient en vie au-dessus du vide !). Ce ne sont pas seulement les centaines de kilomètre/heure et la puissance des réacteurs qui relèvent de l’extraordinaire : en nous coupant brièvement mais radicalement du temps et du monde, un voyage en avion donne accès à un état d’abandon et de concentration bien difficile à atteindre dans la frénésie de nos quotidiens. 

La question mérite donc d’être posée :  en nous laissant ainsi porter, n’effleure-t-on finalement pas un morceau du ciel ? Je ne parle là pas tant de l’azur au-dessus de nos têtes que de notre “ciel intérieur”, cet espace de rencontre avec Dieu que nous abritons tous en nous.  

Un voyage en avion pourrait-il donc être une invitation à la prière ? Et pourquoi pas ! 

Car au fond, prier c’est moins parler que tendre l’oreille, moins fermer les yeux que les ouvrir grand. C’est préparer son cœur à l’émerveillement.   

Et parlant d’émerveillement, je ne suis pas en reste en cette fin de journée. Derrière le hublot, l’horizon nous réserve un final magnifique. Ce que je prenais pour une armée de cumulus s’avère être en réalité les neiges éternelles des sommets de l’Himalaya. Quel beau paradoxe en action que cette rencontre entre sommets de pierre et sommets d’air, cet espace ténu où ce que notre monde fait de plus solide et permanent s’unit à ce qu’il a de plus léger et évanescent… Un premier mariage, en somme, qui annonce celui à venir !

Mais déjà un micro grésillant annonce la descente et mes oreilles commencent à bourdonner. La terre ferme se rapproche vite, toute palpitante de la joie de la fête et des retrouvailles.

Lire l’épisode 2

Lire l’épisode 3


[1]  Voir https://www.bible.com/fr/bible/2367/LUK.11.NFC

Eva Klein

Rédacteur

Eva Klein

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