Histoire de la Mode : 30 années qui ont humilié le vêtement. Le vêtement prisonnier
Au cours des années 2000, les groupes de luxe LVMH de Bernard Arnault, PPR/Kering de François Pinault ainsi que les « superpuissances du mass-market » que sont Zara, H&M et Uniqlo ont transformé le monde de la mode en un terrain global d’affrontement commercial.
Au milieu de ce champ de bataille mondial, le vêtement devient un prisonnier de guerre.
« Je n’ai pas l’habitude de dire le jour où je vais déclarer la guerre, le jour où on attaque et là où on attaque. »
Tels sont les mots de François Pinault alors qu’il vient à son tour conquérir sa part du « fort potentiel du marché du luxe. » Notons bien deux mots : celui de marché et celui de luxe. histoire mode captivité
Le premier traduit la logique avec laquelle les nouveaux acteurs du métier arrivent. La mode vient d’être « rattrapée par la marchandisation du monde. » Il s’agit maintenant de déclencher le désir d’achat chez un consommateur et non plus de proposer une allure, une attitude.
Le second marque un changement de sémantique : nous ne parlons plus de Haute-Couture, mais de luxe. Le terme de luxe remplace celui de mode car « la mode est devenue une entreprise commerciale » [1].
Avec les images d’une «mythologie du prestige à la française », les grands groupes vont bâtir un univers de rêve, celui du luxe, qui va être ensuite proposé sous la forme de prêt-à-porter et d’accessoires au travers de réseaux de boutiques qui s’étendent dans le monde entier et qui sont comme autant de « Disneyland pour les riches. » [2]
La stratégie de conquête n’est plus la vente de couture, mais la vente d’autre chose. « Ce qui se vend c’est l’effet papillon. Tremblement de terre sur les runways à Paris, quelqu’un qui achète un rouge à lèvre à Tokyo. » [3]
Mais les riches ne sont pas les seuls à vouloir leur part de rêve, alors le marché va proposer une avalanche de produits allant de la ceinture à la paire de lunettes et finalement ce qui était la mode va finir par être un champ de bataille où « tout est recouvert par les logos du luxe globalisé. »
La fast fashion contre-attaque histoire mode captivité
Les Zara, H&M et Uniqlo ne vont pas se contenter de regarder. Ces groupes-là ont les moyens de proposer des prix bas toute l’année et de renouveler les vitrines de leurs magasins toutes les semaines. Leur capacité à produire de nouveaux vêtements semble infinie, quitte à copier les grands créateurs.
Marc Jacobs a eu l’idée chez Vuitton de multiplier les collaborations avec des grands noms de l’art contemporain. H&M réplique en 2004 quand Karl Lagerfeld signe une collection pour la chaîne de magasins. En 2009 Uniqlo lance une collaboration avec la styliste minimaliste Jil Sander. Nous sommes avec la contre-offensive de la fast fashion, à laquelle le luxe va devoir ensuite répliquer.
Boucle de rétroaction histoire mode captivité
La mode, devenue désormais le luxe, est entrée dans une boucle de rétroaction. La démesure de l’un des grands groupes du luxe doit répondre avec plus d’ampleur à celle du second, qui répondait déjà au succès des superpuissances du mass market. Et la dernière réponse en date ne fera que préparer le terrain de la prochaine qui « frappera encore plus fort. »
Le vêtement devient prisonnier de cette guerre.
En 1858 Charles-Frédéric Worth innovait en Haute-Couture en présentant pour la première fois dans des salons luxueux des modèles inédits et préparés à l’avance, modèles qui sont portées et présentées par des jeunes femmes, les futures mannequins (qui étaient appelées alors « sosies »). Le vêtement était celui qui ouvrait la voie aux premiers défilés de mode qui allaient apparaître dans les années 1908-1910 [4].
Cent ans après l’apparition des premiers défilés de mode, le vêtement est humilié, dévalué, impuissant, captif, porté par des figures anonymes dans des shows qui n’ont comme vocation que de nourrir l’envie d’appartenir à un monde de rêve, une envie qui doit ensuite se traduire par un passage en boutique et l’achat d’un sac, d’une ceinture, d’une paire de lunettes ou d’un rouge à lèvres.
Une situation de rétroaction peut ouvrir à deux issues possibles. Si la rétroaction s’alimente, on parle de rétroaction positive et les écarts avec un état stable augmentent, s’amplifient, et le système s’auto-alimente dans l’instabilité. C’est ce qui se produit par exemple dans le cas d’une explosion. Dans le cas contraire, la rétroaction est négative et les écarts se réduisent. Il se met en place un amortissement du phénomène qui aboutit à une régulation.
Quid de la mode devenue l’univers du luxe ? De l’avis de Karl Lagerfeld « le système, on ne peut plus le changer. On est des apprentis-sorciers, malheureusement ça marche comme ça. » Un des derniers commentaires du documentaire conclut :
« l’univers du luxe a atteint un point de saturation inédit. »
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Notes
[1] Tom Ford, à l’époque directeur artistique chez Gucci. [2] Marc Jacobs, à l’époque directeur artistique chez Vuitton. [3] John Galliano, à l’époque directeur artistique chez Dior. [4] Gilles Lipovetsky, L’empire de l’éphémère, Gallimard, Paris, 1987
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