Le pas de côté d’Arthur Rimbaud
Une nouvelle librement inspirée de la vie et de l’œuvre d’Arthur Rimbaud (1854-1891)
Il a la tête baissée, comme un paysan sur sa charrue, des cheveux de paille dressés, et des yeux vastes de bleu, du ciel. Mais il n’est pas, il ne sera pas, jamais, un paysan, comme ses ancêtres. Non. Il enfonce ses poings dans ses poches crevées. Non ! Être journaliste, monter à Paris, et se faire connaître, reconnaître comme poète. Voilà sa destinée, à lui.
Il a quitté la ferme. La mère va crier. Elle va se plaindre, à son frère, à sa sœur : « Il est bien comme son père, va ! Partir sans crier gare … Mais aussi, c’est la faute à ce professeur, qui l’encourage dans ses écritures. Comme si l’on était des poètes, nous autres ! » Et puis elle se calmera. Et elle se mettra à attendre un signe de lui, comme une mendiante.
Il fait chaud, même dans les sentiers ombragés. Ils sont lourds, ses godillots. Il les enlève, les noue par les lacets, les balance sur son dos, et marche, pieds nus. Il traverse un champ de blé. L’herbe, menue, lui frôle les pieds. Il crie de plaisir et part de l’avant, en balançant les bras, qu’il a si longs. Des bras faits pour étreindre la vie.
Il s’est renseigné : impossible de prendre le train à Charleville, pour monter sur Paris ; les « Boches » viennent de couper la ligne directe, qui passe par Reims. Seule celle vers le nord est encore ouverte. Mais il doit marcher, marcher, sans avoir même le temps de s’asseoir au bord des routes, pour gagner Charleroi et, de là, il rejoindra Paris.
Paris… Le nom seul de la ville réveille en lui ses rêves grouillants. Certes, il y a la guerre qui gronde. Les Prussiens sont là. On entend parfois retentir des tirs d’obus, au lointain. Mais qu’importe ? Paris… La promesse de la gloire. Il est sûr de son talent. D’ailleurs, ces mots qui trottent dans sa tête, ne devrait-il pas les noter sur son calepin ? « Par les soirs bleus d’été, j’irai sur les sentiers… »
Il marche. Il arrive dans un trou de verdure, où chante une rivière. Ah ! L’envie est trop puissante pour y résister. Il gagne la berge. Du soleil partout, et de reflets d’argent sur l’eau. Elle est froide mais il y entre, après avoir remonté sa culotte. Un tremblement le parcourt. Il se penche et, dans le creux de ses mains, puise de l’eau pour la porter à son visage, et le laver. Il se mouille aussi les cheveux. Il pourrait se coucher là, et dormir, seul, heureux, comme avec une femme.
Il sort lentement de l’eau, comme s’il avait peur d’effrayer un oiseau. Mais les oiseaux sont loin. Le silence est répandu. Son exaltation, il ne sait pourquoi, se teinte peu à peu de l’inquiétude du soir, à venir. Quelque chose appelle, mystérieusement. Dans cet univers, bleu, vert, argenté, soudain surgit, à ses yeux, un détail, par-delà les herbes, quelque chose de rouge. Quoi ?
Il s’approche, doucement. Au travers de la barrière de hautes herbes dressées, il voit. Il voit un soldat, couché. Sa culotte rouge. Sa capote bleue. Il a la tête nue. Il dort ? Non… Il regarde mieux. Un visage jeune, imberbe. Des cheveux blonds, aussi drus que les siens. Et du sang, au côté droit… Il pourrait être lui. Il se voit, en lui, là, tombé, avec tous ses rêves emportés. Alors il lève les yeux vers le ciel, encore si bleu d’été. Et le mot qui vient à ses lèvres, il se met à le hurler : « Dieu ! »
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