Une détox pour vos oreilles, vous y avez pensé ?

« Un esprit sain dans un corps sain. » Bien qu’employée à toutes les sauces, cette formule est intéressante parce qu’elle reconnaît que l’esprit peut être vulnérable et fragile. L’esprit, tout comme le corps, devrait donc lui aussi faire l’objet de notre plus grand soin. Mais comment vous faites, vous, pour entretenir un esprit sain ?


Pour ma part, quand je réalise qu’à l’instar de mes muscles et de mes organes, mon for intérieur pourrait être la proie d’aliments nocifs et destructeurs… ça me fait flipper. Montrez-moi vite ces acides qui pourraient infecter mon âme et l’engraisser d’orgueil, que je les évite ! Plus que jamais, comme un bon aficionado de la diète, je veux prendre soin de mon cœur et le préserver jalousement. Le meilleur, rien que le meilleur pour mon cœur.

Un soir de grosse fringale à Rotterdam, je me connecte sur Uber eats pour découvrir les restaurants qui livrent aux alentours de mon hôtel. Je ne suis pas déçu. Plus de 40 adresses de fast-foods – méconnues pour la plupart – bombent le torse et affichent leurs menus colorés, aussi caloriques que créatifs. Entre les burgers à 3 étages, les pizzas chèvre-nutella et les frites triple XL, je suis servi. L’abondance à toutes les sauces et l’embarras du gras. Mais là, tout proche du bas de page, c’est la surprise. Au beau milieu de cet interminable scrolling de malbouffe, je repère un encart discret qui choisit des légumes comme visuel accrocheur. Il aura donc fallu passer près de 15 niveaux pour tomber sur ce traiteur healthy. Il est bien le seul à proposer des plats simples, frais et équilibrés. J’en suis presque ému. Cela fait déjà trop de repas de suite que j’enchaîne les lipides saturés, les trop-pleins d’additifs et les desserts culpabilisants. Je veux revenir à une nourriture saine. Allez, je clique. Passer commande. Valider.

Et puis je retourne à ma feuille de compo. Je suis rappeur et je planche actuellement sur le dixième et dernier texte qui paraîtra sur mon nouvel album. Album qui sera ensuite publié sur Spotify si tout se passe bien. Ah tiens, justement. Voilà un autre bel exemple de plateforme à l’offre démesurée. Spotify. De la distribution musicale numérique à (très) grande échelle. On parle ici d’un catalogue de près de 35 millions de chansons[1]. De l’électro-psychédélique à la samba brésilienne, en passant par le swing des années 40, il y en a vraiment pour tous les goûts. Clairement, on dépasse largement les 15 niveaux de scrolling. En 2020, Spotify s’approche même de la barre vertigineuse des 300 millions d’utilisateurs actifs[2], dont je fais partie.

J’essaye maintenant d’imaginer ces mélomanes connectés à la plateforme à ce moment même. Il y a forcément un individu lambda quelque part, qui, comme moi, fait une overdose de refrains mielleux et surchargés. Quelqu’un qui est fatigué de bouger son corps sur de la zumba. Quelqu’un las des basses saturées du rap et rassasié de leurs additifs autotunés. Quelqu’un qui a enchaîné trop de paroles malsaines et de couplets salés ces derniers jours. Quelqu’un saoulé des morceaux creux et qui souhaite désespérément trouver un menu healthy pour ses oreilles. Alors je me demande ce qu’il peut bien choisir d’écouter.

« La musique est à l’âme ce que l’eau du bain est au corps. »
Oliver Wendell Holmes

Comme le dit si bien l’Ecclésiaste, dans la Bible, il y a un temps pour tout. Or la musique est une alliée formidable pour traverser chacune de ces saisons de nos vies et s’accorde souvent, tout comme notre alimentation, à ce que nous vivons.

J’aime me farcir un bon gros reggaeton dans la voiture pour relâcher la pression. Les semaines plus légères, c’est Debussy qui m’accompagne dans mes trajets. Les jours de fête, je commande du Jamiroquai pour dépenser en dansant mon surplus d’énergie. Barbara, quant à elle, met des mots sur ma mélancolie. Il y a bien sûr ces morceaux qu’on n’assume pas d’écouter mais qu’on grignote à l’abri des oreilles indiscrètes. Et puis il m’arrive d’enchainer religieusement pendant plusieurs jours du chant lyrique, comme pour me purifier les tympans. Mais ça ne dure pas non plus des mois. Ce serait comme manger de la salade verte tous les jours. Faut pas pousser.

En tout cas, je peux l’affirmer, la musique a ce pouvoir polyvalent sur l’âme. Elle adoucit les mœurs, elle crée l’oubli et le souvenir, elle défoule, elle détend, elle console et elle répare. Elle a tout en cuisine.

Mais, est-ce qu’elle me fait grandir aussi ?


Lire aussi : Journal de bord d’un parolier en mission


« Que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui mérite l’approbation soit l’objet de vos pensées. »
Philippiens 4 : 8 (La Bible)

Quand je lis la Bible, je retrouve souvent la notion de croissance et d’élévation spirituelle. Comme si le but n’était pas simplement de fuir ce qui est mauvais mais d’aller chercher encore plus loin. D’avancer  de  progrès en progrès.

Mon rapport à la musique est alors gentiment remis en question. Plus qu’une distraction, j’aimerais qu’elle m’amène au dépassement de soi. Tant qu’à faire. Je peux aussi exiger d’elle qu’elle me tire vers le haut de temps en temps et qu’elle me fasse réfléchir au-delà de ma personne. D’ailleurs, je constate que la musique vient tutoyer mes pensées quotidiennement, au même rang que la lecture et la méditation. Voire bien plus. Alors autant qu’elle me fasse grandir, elle aussi, en sagesse et en maturité. N’est-ce pas à cela que tout être humain devrait aspirer ?

« Garde ton cœur plus que toute autre chose. »
– Proverbes 4 : 23 (La Bible)

Ces réflexions me bousculent et me passionnent. D’autant que je porte maintenant l’étiquette professionnelle de « parolier ». Ce ne sont plus seulement des mélodies que je suis censé injecter. Ce sont des propos, des histoires, des messages. Des mots tangibles qui atteindront directement l’intellect de mon large public, de tous les âges.

Finalement, qu’est-ce que je propose, moi, en tant que gastronome musical ? Quel type de menu vais-je ajouter au géant catalogue Spotify ? Est-ce que je vais contribuer à la propagation de cette funeste pandémie de malnutrition auditive ? Est-ce que je peux faire la différence, comme  cet humble traiteur rotterdamois ?

Gloups. J’en fais peut-être tout un fromage avec ces questions sur la responsabilité de l’artiste. Après tout, c’est bien connu : personne n’écoute les paroles. C’est même Bigflo et Oli qui l’ont dit.

Oui mais pourtant, ils sont là. Les mots. Doux, acides, édulcorés, purifiés ou empoisonnés. Ils existent. Que je le veuille ou non, ils prévoient bon an mal an d’aller au contact de notre subconscient et de chatouiller nos mœurs et nos humeurs.

« Lis des choses pures et tu penseras pur, lis des mensonges et tu verras que la route vers la paix sera dure. »
– Meak, Les yeux dans les yeux (2019)

En tant qu’auditeur, je me souviens d’une compil’ que j’avais créée quand j’étais jeune stagiaire. Elle commençait par « Je ne veux pas travailler » d’Edith Piaf et se terminait par le refrain “You’re not the boss of me now,” de They Might be Giants. Je me souviens aussi d’un employeur très peu élogieux qui, en fin d’année, me reprochait une légère désinvolture. Est-ce que j’aurais pu m’impliquer davantage ? Je pense. Est-ce qu’il y avait mieux comme playlist pour aiguiser mon éthique de travail ? Je pense aussi.

Ce qu’on écoute n’est jamais anodin. Oui, il existe des chansons abrutissantes. Oui, les paroles peuvent être toxiques sur la durée. Oui, le “consommer avec modération” devrait être appliqué en écoute musicale.

Je nuance et précise tout de même qu’il ne s’agit  nullement d’intenter un procès aux auteurs talentueux et variés qui nous entourent. Au contraire, la musique est une liberté d’expression et c’est une très belle chose. J’ai simplement à cœur de sensibiliser mes amis mélomanes à une consommation musicale éclairée par cette belle maxime biblique : « Tout est permis mais tout n’est pas utile. »

Le généreux McFlurry double nappage tous les midis n’est pas interdit par la loi. Mais je conseillerai davantage à ma nièce la tarte aux pommes sans gluten préparée par sa mère. Dans un souci de santé.

Ce morceau de rap hardcore a-t-il des vertus thérapeutiques ? Sûrement. Mais je n’offrirai peut-être pas l’album de 16 titres à l’ado du voisin qui se cherche et se questionne sur la place de la femme dans la société. Dans un souci de santé.

« Dis-moi ce que tu écoutes et je te dirais qui tu es. »

(Au fait, ma commande est arrivée. Les courgettes sont délicieuses. 5 étoiles et un pourboire.)

Revenons à nos gloutons.

J’avancerais, pour conclure, qu’il peut être sage, voire salvateur, de régulièrement faire le point sur ce qui alimente nos pensées et celles de nos jeunes. Comme lors d’un check-up routinier chez le médecin, prenons le temps de cerner ces paroles et ces artistes qui façonnent notre vision  du monde au quotidien. Est-ce que les discours que j’écoute en boucle me font progresser ? Quelle est leur emprise sur mon ouverture d’esprit et mon rapport à l’autre ? Elle date de quand, la dernière fois qu’une  chanson m’a bousculé, questionné et poussé à l’introspection ?

En tant qu’auteur, j’ai personnellement choisi de puiser mon inspiration au dernier étage. Tout là-haut, chez le Divin. J’ai placé ma foi dans ces valeurs bibliques que sont l’amour, la bienveillance, le pardon et la grâce. Et ce sont ces parfums que je choisis d’afficher sur l’ardoise. Comme ce traiteur néerlandais qui a régalé ma soirée, j’ai envie de proposer un contenu édifiant, bon pour le cœur et le corps. Je veux oser ces ingrédients célestes qui viennent bousculer les toxines et remettre un peu de vitamines dans nos réflexions. Dans une optique de croissance par les oreilles, j’aimerais semer des rimes vivifiantes qui porteront du bon fruit, quand viendra votre saison. Des pensées inspirées de Dieu et infusées par Meak. Comme du bon thé. Plein de bonté.

Oh, j’ai trouvé mon titre. Thé au rap.

Allez, je servirai du thé au rap. Du théo rap.


[1] En 2019, selon siecledigital.fr :https://siecledigital.fr/2019/10/28/spotify-resultats-financiers-troisieme-trimestre-2019/ Consulté le 08/10/2020
[2] Source : igen.fr.
 

Rédacteur

Meak

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