Internet ? Un sublime qui nous coûte cher
Sublime internet! Nous avons l’impression d’être vraiment dotés de super-pouvoirs quand nous l’utilisons. Qu’est-ce qui ne nous est pas accessible? Nous pouvons être dans la rue devant notre prochain lieu de vacances avant même d’avoir fait le premier kilomètre. Et nous pouvons prendre un rendez-vous dans les parages pour une foule de services avant même d’être sur place et de connaître le quartier. C’est fascinant!
Mais cette fascination semble toutefois venir avec un prix, celui de notre compréhension de ce qui se produit. Nous sommes comme confrontés à des choses qui nous dépassent et sur lesquelles nous ne semblons pas avoir beaucoup de prise… Décryptage.
Le prix personnel de la superpuissance
Nous pourrions dire: « avec de grands pouvoirs vient un grand prix » et il n’est pas nécessaire de s’imaginer super-héros pour le comprendre. Prenons le cas d’un voyage transatlantique en avion. Alors qu’il faut 14 jours en bateau pour traverser l’océan, seules 7 ou 8 heures suffisent à un avion. Super-pouvoir de la super-vitesse de déplacement! Oui mais à quel prix? Il est double, voire triple (et même encore quadruple si nous ajoutons celui de la conscience écologique quand nous prenons en compte l’empreinte carbone). Prix de l’attente, de l’obéissance et de l’immobilisme. Arriver deux heures avant le vol, nous soumettre à toutes les procédures d’embarquement et de contrôle, rester sagement assis dans un tube de métal pendant toute la durée du vol. Nous acceptons de payer ce prix en termes de disposition de notre temps personnel, de notre liberté personnelle et de notre activité personnelle. Il s’agit du prix de la super-vitesse.
Andy Crouch propose cette analyse intéressante de ce qu’il appelle la « zone de superpuissance » et du prix personnel du ticket d’entrée. [1] Son idée est la suivante :
Pour pouvoir bénéficier d’une superpuissance, nous devons laisser en échange une caractéristique de notre personnalité.
Parmi ce qui nous caractérise en tant qu’êtres humains, nous sommes en particulier dotés d’une pensée qui nous permet de réfléchir sur notre expérience, de l’interpréter et de l’analyser. Être en mesure de réfléchir Internet, d’interpréter Internet et d’analyser Internet, c’est là que nous allons devoir faire un échange.
Internet nous met en contact avec trois dimensions qui nous dépassent dans nos capacités et qui sont l’indomptable, l’insondable et l’incommensurable.
L’indomptable de la pénétration dans le quotidien : le cas du streaming
2017 est l’année de l’explosion des plateformes de streaming et le confinement de 2020 n’aura fait que de solidifier cet usage. En 2022, 78% des français consomment au moins une fois par semaine des vidéos en streaming. Cela se décompose en une moyenne de 28,6 heures de vidéo par abonnement, et plus de 13h de vidéos gratuites. Le streaming a pénétré en force dans le quotidien des français et la taille du marché global (vidéo et musique) est estimée à 119,01 milliards de dollars (2023).
Mais c’est dans le cas du monde professionnel de la musique que ce caractère indomptable est le plus prégnant. Pour qu’un morceau soit comptabilisé comme une écoute sur les plateformes, il est désormais suffisant que seules les 30 premières secondes soient écoutées. Et c’est toute la composition musicale qui en est bouleversée. Plus besoin de faire des morceaux de 4 minutes. Il suffit d’avoir mélodie, base line et punch line, et le tour est joué. Et tout cela en 3 clics sur un ordinateur.
Mais c’est là encore le leurre de la superpuissance et de la magie, au prix de la créativité personnelle du musicien…
Et c’est aussi l’imposition d’une musique formatée par le streaming pour tous les auditeurs.
L’insondable des techniques employées : qui sait comment cela marche?
L’insondable désigne « ce dont on ne peut atteindre le fond. » Nous ne voulons pas dire que personne ne peut comprendre Internet d’un point de vue technique, ni qu’il est « bête » de ne rien y connaître et de tout de même s’en servir.
Voilà ce que nous voulons dire :
Internet est devenu un ensemble insondable de technologies qui se combinent les unes aux autres au point que la réflexion globale sur leur ensemble et la capacité de bien les interpréter et de bien en analyser les points forts et les points faibles sont devenues des possibilités qui semblent être hors d’accès.
Nous sommes un peu comme avec ces grands fonds océaniques dans lesquels les sous-marins ne peuvent descendre. A la surface se trouvent tous les sites et les applications, les objets connectés, puis viennent les systèmes d’exploitation qui font fonctionner ces sites, ces applications et ces objets. Et comment en arrivons-nous jusqu’aux couches profondes du « tuyau » qui finalement va faire circuler des impulsions électriques, un faisceau lumineux ou des ondes radios? Il va falloir traduire, puis découper, puis empaqueter, puis acheminer à la bonne adresse, puis déballer, puis ré-assembler, puis re-traduire, puis afficher, tout en informant l’émetteur que tout s’est bien passé… Vous suivez ?
Nous naviguons, surfons, à la surface d’Internet, mais ses profondeurs nous échappent. Et avec le déploiement des réseaux de satellites comme Starlink qui visent à proposer un accès encore plus étendu, nous pouvons même dire que les hauteurs d’Internet nous deviennent inaccessibles.
L’incommensurable du volume des données stockées et échangées
Incommensurable… « qu’on ne peut mesurer et évaluer par manque de mesure commune. » Avec Internet nous pouvons mesurer, les chiffres ne manquent pas. Mais disons que ce sont des chiffres qui sont loin de la « mesure commune » et qui vont nous donner le tournis…
Prenons une minute de vie d’Internet en 2021. Cela signifie 197,6 millions de mails envoyés pendant ces 60 secondes. Comme si chaque français en avait au moins envoyé 3 pendant cette minute. C’est 1,36 millions d’euros dépensés en ligne. Sur une journée de 24h (car Internet ne sommeille ni ne dort) cela fait donc 1958,4 millions d’euros, presque 2 milliards, et donc presque 730 milliards d’euros pour une année. Il y a aussi eu pendant cette même minute 695 000 stories partagées sur Instagram, 69 millions de messages envoyés sur WhatsApp et Facebook Messenger, 5000 téléchargement sur TikTok, 500 heures de contenu mises en ligne sur YouTube… Ce dernier chiffre est intéressant si nous voulons faire un ratio. Une minute de vie d’Internet génère 30000 fois sa durée en contenu mis en ligne sur YouTube. C’est une bonne multiplication! Mais où tout cela est-il « mis en ligne » ? Eh bien sur le « Cloud » bien sûr. Mais où est le « Cloud »? Ah, ça, nul ne le sait. Incommensurable et insondable.
Le contact avec Internet est fascinant, mais en même temps malaisant, pour ne pas dire même terrible dans certains cas… À suivre dans notre dernier article.
[1] Andy Crouch, The life we’re looking for – reclaiming relationship in a technological world (2022).Autres articles
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