Qu’est-ce qu’être humain : Un être pour-la-mort ?

Vous vivez, peut-être, totalement immergé dans le réel, en ayant le sentiment que la pensée philosophique n’a aucun rapport avec la vie. Détrompez-vous !


Cet article s’inscrit dans la série « Qu’est-ce qu’être humain ? »


La philosophie : meilleure amie de l’homme ?

Le penseur Elias Canetti (1905-1994), prix Nobel en 1981, déclara « voir que tous les systèmes philosophiques se réaliseront, qu’en eux rien n’est gratuit, le monde représentant la chambre à torture des penseurs. »

Au XXe s., l’être humain a fait du mal à l’autre sur le plan historique, bien sûr, mais il lui a aussi porté atteinte sur le plan de la pensée. Il sera ici question d’un système philosophique particulier : l’Existentialisme, qui a pris son essor après la Seconde Guerre mondiale, jusque vers 1955. Nous verrons qu’il a modifié la manière de penser l’homme et son rapport au monde.

En bien, ou en mal ?


Une pensée pour un temps de crise

L’Existentialisme est à relier à deux penseurs : Sartre, d’abord (1905-1980), et Camus (1913-1960). Ils n’ont, évidemment, pas travaillé à partir de rien. Deux facteurs en particulier ont contribué à l’avènement de leur philosophie.

Le premier est d’ordre historique. La montée du nazisme, d’une part, puis la Seconde Guerre mondiale sont venues percuter les consciences. L’Europe considérait sa culture comme supérieure aux autres. Nulle part, pensait-on, ne s’était développée une pensée aussi élaborée de l’Homme  – l’Humanisme – et nulle part les arts n’avaient connu un pareil épanouissement. Pourtant, c’est bien là que l’être humain manifesta le plus de cruauté à l’égard de son prochain, avec la destruction de 6 millions de Juifs ; c’est là que la Science et la Technique se mirent au service du mal.

Comment, alors, continuer à « faire comme avant » ? On entre dans l’ère du doute, généralisé. Tout devient question : l’Homme ?  Dieu ?  la Culture ? le Bien ? Etc. Dès lors, l’Europe aura une conscience négative d’elle-même.

Le second est d’ordre philosophique. Il est lié à Heidegger (1889-1976), dont l’ouvrage Être et Temps (1927) eut une influence déterminante sur Sartre, fondateur de l’Existentialisme. Heidegger fait de l’homme, le « Dasein », un « être-là », et aussi, un « être-pour-la mort ». Ce concept-clef exprime l’inquiétude du mourir, qui domine l’existence humaine.

L’Existentialisme advient donc dans un contexte de crise intellectuelle.


L’Absurde : une condamnation ?

En 1938 paraît La Nausée de Sartre. La même année, Camus met en route L’Étranger, publié en 1942. Deux ouvrages majeurs, antérieurs à la Seconde Guerre mondiale, mais qui prendront tout leur sens après.

Dans les deux ouvrages, on assiste à la confrontation d’un homme : Roquentin, chez Sartre, et Meursault, chez Camus, avec ce qui devient un thème majeur de ce courant : l’Absurde. Prenons appui sur La Nausée.

Dans une scène très fameuse du roman, le héros se trouve dans un parc :

« J’étais là, immobile et glacé, plongé dans une extase horrible. »

Le terme « extase » a des connotations mystiques et, si révélation il y a, elle est uniquement d’ordre matériel : « Exister, c’est être-là, simplement. » Que regarde-t-il ? Une racine de marronnier, un « morceau de bois inerte ».

La « nausée » désigne le malaise qui envahit celui qui, face à l’existence des choses, perçoit que lui, humain, est « de trop ». Ce leitmotiv exprime la contingence de l’existence humaine, que rien ne justifie. La vie a perdu son sens, d’où : l’Absurde.

L’être humain est représenté désemparé, . Il est dans le monde, parmi les choses, et aussi parmi ses semblables, tel un étranger. Un sentiment de nausée l’envahit. Il ressemble à un condamné, face au réel, à l’instant présent.

Mais est-ce donc une fatalité d’exister ?

Ces philosophes ne présentent pas la vie de manière objective. Ils ont choisi d’accentuer l’Absurde. Et si l’Existentialisme est bien encore une forme d’humanisme, il n’ouvre pas la voie d’un bonheur facile pour l’être humain.


Vivre encore dans ce monde

Si l’homme, d’une part, est encore habité par une volonté de vivre, d’autre part, il se heurte à une sorte de résistance du monde, qui le rejette. J’ai cité, précédemment, La Nausée, mais, dans L’Étranger, on trouvele même phénomène, par exemple dans la scène, cruciale, où Meursault tue « l’Arabe ». Pourquoi commet-il cet acte criminel ? Camus ne fournit aucune explication sensée, si ce n’est qu’il a été poussé par le soleil :« Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front (…) C’est alors que tout a vacillé. (…) Il m’a semblé que le ciel s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s’est tendu et j’ai crispé ma main sur le revolver. » Meursault est donc à la fois coupable du meurtre, et victime du soleil.

Nous sommes là dans des univers mentaux, correspondant à la vision du monde que les romanciers ont voulu exprimer. Et celle-ci est tragique. Pour autant, dans l’Existentialisme, l’être humain n’est-il vraiment plus le maître de ses actions ?

En fait, la liberté est un thème fondamental de ce courant de pensée.

Face au monde, qui lui résiste, c’est à l’être humain qu’il revient de se conduire, avec responsabilité, par les choix qu’il entreprend. Camus affirme, dans son essai Le mythe de Sisyphe : « Le destin est une affaire d’hommes, qui doit être réglée entre les hommes. » L’Existentialisme engage leur sens éthique, et politique. Ce n’est plus sur les dieux qu’ils doivent compter. Vivre est donc difficile.


S’orienter dans l’existence

La manière dont on choisit d’orienter sa vie conditionne notre existence. Nous avons vu que l’Existentialisme dépend d’abord d’un « être-pour-la mort ». Toutefois, il n’y a aucune obligation à se positionner ainsi, et l’on peut fort bien, dans le même monde, confronté aux mêmes données du réel, et sans naïveté, choisir d’être-pour-la vie.

L’« être-pour-la mort » est d’abord lié à un rejet : celui de la foi en Dieu. On devient alors seul responsable de soi, des autres, et du monde.

Chez Sartre, cette solitude engendre une immense inquiétude, qui donne la « nausée ». Face à l’existence des choses, on ressent que sa vie d’humain n’est justifiée par rien : elle est contingente. Elle va, inéluctablement, vers la mort, comme vers une fin. Camus, plus encore que Sartre, insiste sur l’Absurde, la perte du sens. Et son héros, dans L’Étranger, se heurte à une mystérieuse résistance du monde, hostile, et silencieux.

Mais pourquoi en serait-il ainsi ? L’être-pour-la vie ouvre des perspectives tout autres.

La foi en un Dieu vivant et personnel, qui veut nouer une relation avec l’être humain, change le vivre. Celui qui croit confie à Dieu sa destinée, et celle du monde. Il agit, dans le monde, mais guidé et accompagné par Dieu.

Le croyant échappe à la solitude existentielle, et à l’inquiétude, liée à la mort. Il sait que Dieu est à l’origine de chaque vie humaine, et que la mort ouvre sur l’éternité. La vie se trouve orientée par le vrai, le bien et le beau. Et rien n’a plus d’importance que d’aimer, Dieu, et son prochain. Quant au monde, il n’est pas un mur contre lequel on vient se cogner, mais la Création dans laquelle on peut retrouver Dieu.

L’Existentialisme a eu un impact fort sur plus d’une génération, et ce qu’il a instillé dans les mentalités perdure, de manière certaine. Il est écrit, dans la Bible, et c’est Dieu qui s’adresse aux humains : « J’ai mis devant toi la vie et la mort (…) Choisis la vie, afin que tu vives1. »

Où en êtes-vous, quant à vous, par rapport à ce positionnement de vie ?

1 Livre du Deutéronome, chapitre 30, versets 19 et 20.

Rédacteur

Jean-Michel Bloch

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