Le pas de côté de Virginia Woolf

Une nouvelle librement inspirée de la vie et de l’œuvre de Virginia Woolf (1882-1941)



Léonard, le veilleur bienveillant, dort. Il faut le laisser dormir. Ce qui la tourmente, il ne pourrait l’apaiser. Cher Léonard, lui, toujours désireux de l’aider, de l’aimer. Mais elle…

La nuit est longue quand reviennent constamment, derrière les yeux, les vagues du monde. Car sa tête est bruissante, toujours. Ce qu’elle a vu, ce qu’elle a entendu, ce qu’elle a touché, tout revient, prend corps, la saisit, l’appelle. Alors, elle ne peut résister, même la nuit.

Elle extrait de son lit, le plus silencieusement possible, son corps, long, et saisit, à tâtons, un peignoir, dont elle s’enveloppe, en frissonnant. Elle se dirige vers la table d’écriture, auprès de la fenêtre. Mais la nuit attire son regard. Dans le noir paisible qui a tout effacé, là-haut, luisent des étoiles. Clignotent-elles ? Elle en a l’impression. Et elle sourit, s’oublie, un instant. Jusqu’à ce que revienne la pression qui part de l’intérieur d’elle et la pousse à chercher, fébrilement, de ses mains, longues et maladroites, le papier, le stylo.

Car il « faut » écrire. Il faut déverser sur la feuille les vagues de la vie qui s’écoule, toujours. Le flux est continu, comme le chant permanent des grillons, lorsque la nuit est chaude. La nuit arrête le temps pour les hommes qui dorment, mais la nuit n’arrête pas la vie, toujours battante. La vie bat, sous ses yeux, à ses tempes, aux oreilles, avec une persistance insupportable, qui appelle une libération.  A la lueur de la lampe, faible, elle déverse un flot de mots, sans contrôle. Mais elle sait qu’ils charrient du vivant, au moins quelques bribes. Elle sait que, demain, le jour venu, elle reviendra à ces mots, pour vérifier la justesse et la beauté de la page, qui deviendra une nouvelle, peut-être.

Elle entend le corps de Léonard émettre des soupirs et se tourner, se retourner. Pourvu qu’il ne se réveille pas… Quelle heure est-il ? Inutile de se recoucher. La vague, en elle, brutale, a réveillé le désir.

Elle se penche à la fenêtre. Il lui semble bien que le jour frémisse déjà. Quelque chose de bleu tremble dans la nuit. Oui, elle va sortir.

Elle remet ses habits de la veille. Puis elle s’efforce de descendre les marches de l’escalier de bois du cottage, sans les faire craquer. Ses chaussures. Le manteau. Laissera-t-elle un mot ? Non. Elle sera de retour au réveil de Léo. Allez, va. Vite !

La porte se referme, derrière elle, encore liée à la maison. Son regard s’élance et, oui, le jour vient, à peine. Avec une lueur de rose, à présent. Du rose sur les massifs de roses. Il a tant plu, ces temps derniers. Elles débordent, si pâles, au petit jour. Parfumées. Avec la tendresse d’une amante, sa main frôle les pétales doux, et vaporeux. Ah ! N’être qu’une rose, insoucieuse, toute à son calme déploiement, offerte.

Mais elle est Virginia. Virginia Woolf. Elle a eu tant de joie à lire les retours positifs des amis, concernant le dernier roman paru. Comment aller encore plus loin ? Comment saisir la vie, mieux encore, tout ce qui est ?

L’herbe est humide. Elle avance, avec la grâce lente d’une étole de soie, déployée au vent. Je suis Virginia, et j’aime les roses… et voici le jour qui se déploie, comme une rose. Comme elle a eu raison de sortir ! Les autres, qui dorment, ne verront pas se lever le jour. Se peut-il qu’il soit pour elle seulement, le jour, si pur, si clair ?

Si elle croyait encore en lui, Dieu, elle lui rendrait grâce, pour le matin. Mais il s’est perdu dans les brumes d’enfance, lointaines. Pourtant, l’envie est là, puissante. Alors, Virginia, seule, face au soleil levant, et silencieuse, élève seulement les deux mains, lentement, vers le ciel.

Rédacteur

Jean-Michel Bloch

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Contributeur

Léa Rychen

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Contributeur

Estienne Rylle

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