Les fashion weeks doivent-elles repenser le temps ? 

Toujours plus spectaculaires chaque année, les défilés parisiens des fashion weeks ne cessent de susciter le rêve. Des décors impressionants sont conçus spécialement pour l’occasion et deviennent la norme pour de nombreuses marques. Rien ne ralentit les directeurs artistiques puisque tout est possible : un défilé dans une station de métro, dans un aéroport, une forêt ou un manège ? La créativité est poussée à l’extrême pour que chaque saison surpasse la précédente.

Une créativité sans cesse renouvelée

Les défilés font partie intégrante du processus créatif : ils valorisent le savoir-faire, l’exclusivité, le rêve et les arts. Dès leur origine au début du XXe siècle, ils deviennent toujours plus importants et sont largement relayés par la presse.

Année après année, les défilés et les collections s’enchainent.

Leur calendrier est proposé par la chambre syndicale de la haute couture qui communique les dates des prochaines semaines de la mode. Chaque saison, les maisons annoncent leur nouvelle vision en diffusant leurs contenus créatifs à travers des inspirations, des slogans et des looks clés sur les réseaux sociaux et dans les magazines. Ce cycle répétitif alimente ainsi l’écosystème de la mode. Les tendances évoluent et les entreprises n’ont plus le choix que de suivre ce mouvement.

Un rythme de production effréné

En 2016, une décision radicale est prise par de nombreuses marques comme Burberry, suivie par Tom Ford : désormais, une pièce peut être achetée dès qu’elle entre sur le podium.

« See now, buy now. »

La course pour être vu en premier sur les réseaux sociaux atteint alors son point culminant et les marques s’imposent désormais une production quantitative exigeante pour satisfaire la demande des clients dès que le défilé se termine.

Par opposition, de grandes maisons et grands groupes comme Kering, Hermès, Dior ou encore Chanel, font de leur côté savoir leur volonté de demeurer sur le rythme du calendrier habituel de présentation de collection et de distribution de la production, c’est à dire dans les six mois après le défilé.

Le temps d’un savoir-faire. 

L’attente est constitutive de la « création du désir dans l’univers du luxe » note François-Henri Pinault,  le PDG de Kering.Ces maisons représentent finalement une valeur sûre dans le patrimoine français et préservent une capacité incroyable de s’adapter et de créer la mode.

Une bousculade qui marque un tournant

Quand surpris par la propagation du covid 19, tous les ateliers de couture se sont empressés de fabriquer des masques et des blouses, les remises en question salutaires se sont multipliées.

En témoigne l’annonce récente du 27 avril 2020 d’Anthony Vaccarello, directeur artistique de la maison Saint Laurent, qui a suscité beaucoup d’interrogations sur l’avenir de ces rendez-vous annuels tant attendus. Il écrit :

«Conscient de la conjoncture actuelle et des changements radicaux qu’elle induit, Saint Laurent prend la décision de repenser son approche au temps et d’instaurer son propre calendrier. » 

Une décision inédite de qui met en lumière sa quête de sens et d’autonomie. Ce virus invisible aurait-il réussi à interroger certains acteurs de la mode sur ce qui est essentiel ? Et si les maisons de luxe commençaient à repenser le temps ? La fast fashion de plus en plus contestée est un fléau pour le monde de la mode. Comment se fait-il qu’aujourd’hui nous conservons nos vêtements deux fois moins longtemps, alors que la consommation a doublé en l’espace de 15 ans ? La “mode jetable” nous a poussés à l’achat compulsif au nom d’une mode ou d’une tendance. À des fins économiques, de grandes entreprises ont poussé les consommateurs à acheter toujours plus en jugeant démodée la collection du mois dernier.

Un point d’interrogation ?

Le communiqué de Saint Laurent a eu l’effet d’une bombe en raison de sa portée symbolique. Est-il en train, comme d’autres maisons, de prendre le contrôle de son propre temps ? Silvia Venturini Fendi, directrice créative de Fendi, membre de la troisième génération de la maison de luxe italienne a déclaré :

« C’est une belle opportunité de changer les choses, de voir les choses différemment et d’évoluer de manière positive »

Est-ce que cela veut dire qu’au-delà d’un modèle économique clair, il laisse place à la spontanéité de la créativité ?Parfois représenté comme étant un art élitiste, artificiel et superficiel, la mode doit-elle profondément changer ? Peut-être qu’au travers de ces temps incertains, Saint Laurent veut-il insister sur la dimension humaine de la création.

Et si l’art devait davantage se faire guider par la passion, les rencontres, la précarité de notre temps et de nos limites ?Et si c’était le moment de se concentrer sur la force de la pièce et de l’objet, au-delà d’une tendance ? Et si le fait de ne connaître exactement ni le chemin ni le rythme devenaient une force ?Ce que la mode a connu hier ne ressemblera certainement pas à ce qu’elle rencontrera demain.

Aurons-nous de l’audace ? 

Saint Laurent, et d’autres marques, ont fait preuve d’audace en avouant vouloir ralentir le temps ou du moins, en prendre le contrôle. Tout en nageant à contre-courant, ils nous interrogent sur notre capacité à en faire de même.

Comment utilisons-nous le temps qui nous est donné dans nos obligations professionnelles mais aussi personnelles ? Sommes-nous définitivement formatés à aller plus vite que la musique ou sommes-nous capables de prendre le contrôle de notre vie ?

Quoi qu’il en soit, la propagation de la pandémie aura eu le dernier mot sur la semaine du prêt-à-porter homme et celle de la haute couture prévue en juin-juillet à Paris. Et si certains n’imaginaient à aucun moment la conversion digitale des grandes maisons de luxe, il est de fait que cette prochaine fashion week sera finalement entièrement numérique et disponible pour tous. La mode nous surprendra donc toujours. Elle est aujourd’hui en train de se réinventer et nous pouvons pleinement être acteurs de ce phénomène.

Rédacteur

Joëline Studer

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