Miroir, mon beau miroir, dis-moi : ma différence est-elle un problème ?
Quand la différence identitaire peut s’avérer nocive.
L’identité de chaque individu sur Terre est potentiellement mortelle. Non non, je ne délire pas (contrairement à ce que pourrait dire ma colocataire !) ; je suis parfaitement saine d’esprit, du moins je le crois. Disons que vous pourrez en juger d’ici la fin de cet article…
Une série proposée par Noela Ezoua.
Ceux qui se ressemblent s’assemblent.
Ceux qui s’assemblent se distinguent.
Et ceux qui se distinguent … ?
La double face de l’identité
Dans mon article précédent, j’expliquais que la ressemblance et la différence étaient les deux faces de la même pièce qu’est l’identité.
Lire aussi : Miroir, mon beau miroir, dis-moi : qui suis-je ? Une question d’identité
Ceux qui se ressemblent s’assemblent.
« L’homme est un être sociable ; la nature l’a fait pour vivre avec ses semblables », disait Aristote dans son ouvrage Ethique à Nicomaque. A l’évidence, l’homme a besoin de vivre en société et plus précisément avec le groupe qui l’a vu naître. Bien plus, le désir, voire le besoin d’être intégré et accepté par le groupe aimé est intrinsèquement humain. Pour se construire, l’homme utilise ses caractéristiques identitaires. L’inverse est aussi vrai : nos caractéristiques identitaires nous conduisent elles-mêmes, de fait, à nous regrouper ensemble.
Ce qui se déroule dès l’enfance dans les établissements scolaires constitue une image parlante de ce phénomène. Dès les premiers jours de la rentrée, se forment « naturellement » des groupes d’amis qui ont indéniablement des points communs : centres d’intérêt, nationalité, origine sociale, niveau scolaire etc… Si l’affinité, dans les relations humaines, se définit comme étant une conformité, une harmonie – de goûts, de sentiments, de caractère – entre deux ou plusieurs personnes, les spécificités identitaires en sont le socle. Les affinités sociales se font à partir de ce que l’autre a de semblable à nous.
L’identité est source de cohésion sociale.
Elle nous permet de nous unir en tant qu’humains de manière générale, mais aussi de nous unir avec ceux qui nous ressemblent pour former des groupes où nous nous sentons à l’aise, compris etc… Aussi parle-t-on d’identité nationale, ethnique, religieuse pour ne citer que les appartenances identitaires classiques.
Malheureusement, le revers de la médaille est que les ressemblances unifient jusqu’à devenir des distinctions qui divisent.
En effet, comme le soulignent les sociologues Bourdieu et Melucci dans leurs travaux, par essence, l’identité collective se construit en s’opposant. Les groupes se construisent en se distinguant des autres, en se faisant face. Pour rester sur l’exemple des établissements scolaires, on y observe fréquemment, celui des « intellos » face aux « caïds », les « enfants de riches » face aux plus défavorisés… À une échelle plus globale, en matière de genre, l’exemple des femmes face aux hommes. En matière d’ethnie, l’exemple, au Rwanda, des Hutus face aux Tutsis… et les exemples sont multiples pour chaque composante de l’identité.
Seulement, cette opposition sur base des différences, ne se limite bien souvent pas à un simple vis-à-vis inoffensif et passif. D’ailleurs, c’est le conflit qui joue un rôle central dans la création de certaines identités collectives. A cet égard, il suffit de se rappeler certains mouvements sociaux phares de ces dernières décennies tels que celui des féministes ou encore des LGBT.
Cela dit, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour ma part je me suis longtemps demandé : comment, à partir de simples différences inter individuelles, l’on en est arrivé au mépris, au rejet, aux querelles, jusqu’aux conflits les plus sanguinaires qu’a connu l’Histoire de l’humanité ? L’explication n’est sans doute pas si simple que cela. De plus, il serait extrêmement simpliste de croire qu’une seule cause suffirait à comprendre un phénomène si complexe.
Mais je voudrais ici tout de même exposer un des nombreux processus qui y conduit. Sujet redevenu brûlant d’actualité depuis l’affaire George Floyd, en Mai 2020 aux Etats-Unis : j’ai nommé, le racisme.
Des différences aux conflits : l’exemple du racisme
De la génétique à la psychologie, de nombreuses sciences se sont penchées sur la compréhension du racisme. En l’analysant, la sociologie plus spécifiquement a pu identifier qu’un processus en trois étapes y conduisait : la catégorisation, l’essentialisation et la hiérarchisation.
Que je catégorise…
La catégorisation est un processus psychologique universel qui consiste à classifier les éléments du monde qui nous entoure, à partir de traits caractéristiques. Pour ce qui est de ses pairs, l’homme les classe instinctivement en fonction de leur apparence, nationalité, religion… Ces critères ne sont pas universels et immuables, ils varient selon les sociétés et les époques.
La catégorisation est un processus naturel qui permet à l’homme de réduire la complexité du monde et appréhender les nouveaux éléments qui se présentent à lui par association. Elle n’a rien de raciste en soi. Seulement, on glisse très rapidement à l’essentialisation.
Que j’essentialise…
Rappelons-le, l’identité d’un individu est multidimensionnelle. Chaque personne appartient simultanément à plusieurs catégories.
L’essentialisation commence par la réduction des individus à une seule de leurs catégories d’appartenance (leurs origines par exemple), jusqu’ à ne plus les considérer dans leur globalité. Et elle se termine par l’attribution à l’ensemble des membres de ladite catégorie : des spécificités morales, des caractères psychologiques, des capacités intellectuelles ou physiques, que l’on estime être naturels, héréditaires et immuables.
Un exemple serait de commencer par voir un de ses collègues de travail uniquement comme étant noir et rien d’autre (catégorie : couleur de peau), puis d’estimer qu’il est donc un « faible d’esprit » (stéréotype sur des capacités intellectuelles : « les noirs seraient moins intelligents »).
Que je hiérarchise…
Puis le processus se poursuit naturellement vers une infériorisation de certains groupes d’individus par rapport à un autre estimé, lui, comme supérieur. On hiérarchise alors les groupes d’individus en portant sur eux un jugement de valeur. Cette hiérarchisation sert dès lors à justifier le racisme, la discrimination, les inégalités, la domination, voire les violences.
Au fond, l’origine du mal est donc une mauvaise appréhension de l’altérité. Une instrumentalisation de certains aspects de l’identité pris séparément que l’on colore d’un ensemble de jugements.
Parce que la racine du mal est une mauvaise appréhension de la différence, pour ma part, j’estime que ce processus dans sa logique est extensible à plusieurs autres mécanismes conduisant au mépris et au rejet de l’autre dans une forme plus douce, et à l’hostilité et la violence dans de manière plus exacerbée. In fine, qu’il s’agisse de racisme, de xénophobie, de conflit d’ethnie, de classes sociales… tout est question de différence : une mauvaise appréhension et une instrumentalisation néfaste de celle-ci.
Une nouvelle vision de la différence, vers l’abolition des distinctions conflictuelles ?
Si nous considérons les dimensions de l’identité séparément, nous partageons chacune de nos appartenances avec un certain nombre de personnes. Nous ne sommes pas les seuls à être homme/femme, âgé de tel, francophone, originaire de X, vivant à Y etc… Cependant, si chaque appartenance est en partie commune et nous rapproche de fait d’un ensemble de personnes, par ricochet elle nous distingue et nous éloigne d’autres. Là s’instaure déjà un premier levier de singularisation que nous pouvons nommer de groupal.
Mais notre unicité vient du fait qu’au fur et à mesure que l’on rajoute à l’équation les différents éléments de notre identité, il y a de moins en moins de personnes qui sont semblables à nous. Si je prends mon propre exemple : je suis de nationalité ivoirienne, et je partage cela avec près de 28 088 455 personnes sur Terre. De plus je suis une femme, d’ethnie maternelle Attié et paternelle Apollo. De fait, le nombre d’ivoiriens avec qui je partage ces 3 spécificités se réduit. Et elle se réduit encore davantage lorsque j’inclue les différents pays où j’ai grandi, mes croyances, ma formation professionnelle, mes aptitudes, etc…
Aussi, parce que la combinaison de l’ensemble des éléments de notre identité ne peut se retrouver nulle part ailleurs, nous sommes tous différents les uns des autres. Et in fine, nous sommes chacun foncièrement unique.
Or, la beauté de la création réside aussi en sa magnifique diversité. Chaque être humain est un savant assemblage de diverses particularités qui fait de lui un prototype humain original, une diversité de fleurs uniques qui embellit le bouquet de l’humanité.
Qu’est ce qui fait qu’une simple pierre ait, à nos yeux, une très grande valeur ? Diamant, émeraude, saphir et rubis sont considérés comme les pierres les plus précieuses au monde à cause de leur rareté et sont hiérarchisés en valeur en fonction de la rareté de leurs caractéristiques. Que dire donc de la valeur de chaque individu sur Terre ? Il ne se trouve dans ce monde personne qui soit exactement comme un autre en tous points. Chacun est parfaitement unique. Nous sommes tous plus que rares : il n’y a que nous, à être comme nous.
Je conclurais en disant qu’il est possible de considérer que voir les différences de l’autre, c’est voir son rôle particulier dans l’œuvre d’art de Dieu. Rôle que lui seul, dans son unicité, peut occuper. Il est possible de reconnaître en la différence de l’autre, une unicité qui est d’une très grande valeur irremplaçable.
Point de réflexion
Et ce qui distingue… ? C’est à chacun de définir ce qu’il en fait.
Autour de ce thème de l’identité qui met en relief les différences inter individuelles, j’aimerais vous emmener à réfléchir à la manière dont vous considérez la différence.
Quel regard portez-vous sur les différences des personnes qui vous entourent, soit sur ce qui fait leur identité ? Et en ce qui vous concerne, quel regard portez-vous sur les éléments de votre identité qui vous différencient des autres ?
La manière dont on considère la différence détermine pour beaucoup nos relations avec les autres. De même, la manière dont les autres considèrent nos spécificités détermine aussi fortement la manière dont on se considère et se traite soi-même. Elle détermine en quelque sorte le rapport que nous entretenons avec nous-mêmes. C’est ce sujet que j’aborderai dans le prochain numéro de cette série d’articles.
Références
Maalouf, A. 1998. Les Identités meurtrières. Paris : Grasset & Fasquelle.
Voegtli, M. (2009). Identité collective. Dans : Olivier Fillieule éd., Dictionnaire des mouvements sociaux (pp. 292-299). Paris : Presses de Sciences Po.
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