Le pas de côté de Paul Claudel
Une nouvelle librement inspirée de la vie et de l’œuvre de Paul Claudel (1868-1955)
Les charges diplomatiques éloignées, il a quitté l’ambassade, l’enfermement dans le bureau, pour aller, seul, les yeux et le cœur ouverts à ce pays qui s’offre à lui, à sa jeunesse et à son désir de vivre.
On s’incline respectueusement devant l’autorité qu’il représente et, tant ces hommes que ces femmes, qui portent souvent le costume traditionnel, coloré, lui semblent sortis de livres de contes, pleins de charme et de mystère.
Il avance dans le paysage. Il est dans ce qui lui apparaît comme le Japon plat, qu’il oppose au Japon plié. La grande plaine du Yamatô. Il lève la tête sur la haute barrière d’arbres, qui protège contre les typhons. Ici les pluies peuvent être violentes. Ce sont les dernières heures du jour. Celles dont la lumière se pare d’étrangeté. A l’approche de l’obscur. Ici la nuit est très noire.
Il a gravi des sortes de remparts, vestiges de fortifications, d’un Japon guerrier. De là, il peut mieux contempler le monde. La grande plaine est un corps vivant. Elle a des veines d’eau brillantes. Et la végétation abonde, diversifiée : les mûriers ; les plantes à thé ; les espaliers de poires ; plus loin les étangs, des fermes, et des usines, aussi, car les temps changent.
Il s’est assis, son corps, son esprit, en appel. Le corps de la terre reluit, avec la clarté pâle, et douce, d’une peau de femme, nue. La solitude est, à la fois, un privilège et une torture. Pour lui.
Un vent frais le ramène à la nécessité de rentrer. La maison qu’il occupe n’est pas « sa » maison. Elle est loin, sa maison de famille, paysanne. Loin, son appartement parisien. Il est devenu l’occupant, temporaire, d’une maison japonaise. Ah ! L’art d’habiter du Japon.
Il arrive à cette maison, une caisse aux parois de papier. Elle se tient, à l’abri de ses auvents et de ses vérandas, qui la protègent contre l’agression brutale, parfois, des vents et de l’eau. Il ne sait pourquoi, mais tout, ici, invite au silence et à la discrétion, même s’il est chez lui et ne risque de déranger personne.
Lui aussi ôte d’abord ses chaussures pour entrer dans les pièces aux parois de papier coulissantes. La maison est entretenue pour lui. Ses yeux se posent sur un ikebana placé où il faut. L’arrangement maîtrisé des fleurs provoque un sentiment de plaisir intense. Il regarde avant d’aller s’asseoir à sa table. Il n’est pas encore nécessaire d’allumer la lampe.
Non, la maison japonaise ne ressemble en rien à la maison occidentale, dont les fenêtres, rectangulaires, avec leur croisée, ressemblent à des boucliers, comme pour repousser l’extérieur, le jour. Alors qu’ici, la maison s’ouvre, entière, du dedans vers le dehors. Elle s’ouvre au temps qui passe, aux saisons, au jardin. Il ressent ce qu’éprouvaient les poètes qui, comme Bashô, ayant tout quitté, allaient se construire une hutte dans la montagne.
Sur la table, devant lui, une peinture classique. Tout l’art des anciens peintres japonais s’y déploie. Ils étaient souvent des esprits religieux. Pour eux, le monde visible, la nature en particulier, déployait une Sagesse. Il observe un arbre, accroché au roc, et penchant sur le vide. Un arbre qui trouve en ses racines la force de résister à l’attirance du gouffre déployé sous lui. Comme il comprend cela, lui dont l’âme est si facilement séduite par le goût du pouvoir ou le désir. Comme il saisit bien que cet arbre-là dit non au mal.
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