Relations amoureuses : se « développer » seul ou à deux ?

Dans un monde de réseaux sociaux et d’applications de rencontre qui démultiplient l’offre et la demande, se pourrait-il que notre génération ait des difficultés à s’engager ? À savoir ce que c’est que l’amour et comment ça fonctionne ? Et si c’était plus difficile d’être en couple en 2020 ?


Juliette file le parfait amour avec son Roméo. Son Roméo s’appelle Jonathan et il a tout pour plaire : il est beau, il est riche, il a du succès et il l’aime d’une sincérité profonde. C’est parfait en effet, sauf que Juliette, elle, s’ennuie à mourir. Elle rêve d’une vie de couple langoureuse et trépidante, avec des papillons dans le ventre et (I’ve Had) The Time Of My Life en fond sonore. Heureusement pour Juliette, elle a son deuxième Romeo qui attend au balcon : tout aussi beau, beaucoup moins riche, et beaucoup moins sincère aussi. Mais les papillons dans le ventre reviennent et l’ambiance Dirty Dancing avec, alors tout est bien qui finit bien. Les aficionados de comédies romantiques à la française auront reconnu sans peine la référence à L’Arnacoeur de Pascal Chaumeil. On se souviendra notamment de la scène finale, pour le plaisir de voir Vanessa Paradis en robe de mariée et Romain Duris courir à perdre haleine, et de la morale qui semble se dégager. Si votre couple bat de l’aile, mettez-y fin : une aventure plus palpitante vous attend au tournant. (Cherchez mieux, on nous dit, fuyez la monotonie ! Ce ne sera pas Vanessa Paradis et Romain Duris pour tout le monde, mais tant pis.)

C’est ça la vision du couple moderne ?  

Ce triangle amoureux cinématographique est-il symptomatique de la vision du couple moderne, entre refus absolu de la routine et survalorisation du papillonnage ? En parallèle des scénarios à l’eau de rose, de nouvelles formes s’affichent, s’affirment, et ébranlent la vision traditionnelle du couple à deux : c’est le cas du polyamour ou pluriamour dont les médias se font de plus en plus l’écho.
Dans un monde de réseaux sociaux et d’applications de rencontre qui démultiplient l’offre et la demande, se pourrait-il que notre génération ait des difficultés à s’engager ?
Les statistiques semblent aller dans ce sens : en France en tout cas, le nombre de mariages continue de chuter (1) et les divorces d’augmenter (2).

Si l’autre ne me donne plus ce que je veux, je le quitte

Avec l’épopée COVID et ses confinements successifs, c’est certain qu’il y aura moins de mariages ! Mais, ces circonstances exceptionnelles mises à part, est-ce plus difficile d’être en couple en 2020 ? Dans son ouvrage sur le mariage (3), le psychologue Eli Finkel effectue un grand survol de l’histoire du mariage ces cinq derniers siècles. Il conclut qu’il est nettement plus compliqué d’avoir un bon mariage aujourd’hui.
Selon lui, au vingt-et-unième siècle, les couples visent des objectifs tout aussi périlleux que de franchir le Mont Everest : la réussite est infiniment gratifiante, mais très peu y arrivent.
La solution de Finkel, c’est d’accepter de diminuer temporairement nos ambitions lorsque les « conditions météo » sont difficiles. Si l’on connaît un changement soudain (par exemple, quand on traverse une pandémie mondiale qui vient bousculer tous nos repères spatio-temporels !), on baisse d’altitude pour un temps. Sans quoi, on risque de mourir en route… Mais d’où nous vient cet attrait pour la montagne ? Pas besoin d’aller aussi loin que l’Himalaya ! Selon l’auteur, ce qu’ont escaladé les couples au fil de l’Histoire, c’est la pyramide de Maslow. Et nos attentes du mariage ont ainsi atteint des sommets. Si nos ancêtres cherchaient dans le mariage un cadre de sécurité sociale et financière, les modernes y ont vu l’opportunité de découvrir romance et plaisir partagé.
De nos jours, en plus de tous ces besoins à combler, le mariage est le lieu de l’accomplissement de soi.
L’autre doit non seulement m’aider et m’aimer, mais aussi me permettre de devenir la meilleure version de moi-même.

En d’autres termes, le couple est le produit phare du développement personnel !

Ce qui est intéressant, c’est que cette notion d’accomplissement de soi dans le couple n’est pas si neuve qu’il n’y paraît. Sa généralisation peut-être, mais certainement pas son essence. En fait, on la retrouve déjà dans des textes antiques du tout premier siècle de notre ère, j’ai nommé : la Bible. L’idée selon laquelle, au sein du couple, je suis là pour développer l’autre en vertu de son bien est en fait fondamentalement chrétienne. Cela peut paraître étrange si l’on ne connaît pas la Bible, et encore plus si on la connaît ! N’y lit-on pas que l’homme domine sur la femme, qui est la propriété de son mari ? Que la femme doit se soumettre à l’homme ? Comment oser alors parler de développement de l’autre (et particulièrement pour la gent féminine si affreusement dépeinte !) ?
Ces questions sont légitimes et méritent d’être posées ! Elles méritent encore plus d’y apporter une réponse, ce que font Christel, Jean-Christophe et Léa dans cet épisode de Sagesse et Mojito.
En fait, la Bible évoque encore et encore le don réciproque de soi. Certains des textes qui nous semblent écœurants aujourd’hui constituaient dans leur contexte d’origine de vraies bombes atomiques ! Le statut de la femme tout comme le statut de l’homme subissaient, sous la plume des premiers chrétiens, une révolution contre-culturelle. Ce n’est pas seulement que le corps de la femme appartient à son mari… le corps du mari appartient aussi à sa femme (et, dans la culture du Proche-Orient ancien, en voilà une choquante révolution) ! Ce double mouvement trouve son essence dans l’affirmation de la valeur inconditionnelle de l’autre en cela qu’il ou elle a été créé(e) en image de Dieu. Alors oui, je veux le meilleur pour l’autre, je veux l’aider et l’aimer et permettre son développement.
Mais ce qu’il y a de profondément radical dans le message biblique, c’est que cette recherche d’accomplissement de soi ne se fait pas en dépit de l’autre (et s’il ne me donne plus ce que je veux, je le quitte).
Elle se fait grâce à l’autre, et par son libre choix. Il ne s’agit pas de se servir de l’autre pour s’accomplir soi, mais de servir l’autre pour l’amener plus loin. Faire la courte échelle, afin qu’il ou elle réussisse l’ascension du Mont Everest…

D’où vient cette radicalité du don de soi ?

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis. » (4)
C’est la figure centrale de la Bible (et à bien des égards, de l’Histoire dans son ensemble) qui disait cela. Jésus, bien que lui-même célibataire, a donné l’exemple d’une vie de couple vibrante et épanouie (encore plus que celle de Romain Duris et Vanessa Paradis !). Comment ? En incarnant le modèle de toutes les saines relations.
Aimer vraiment, c’est se donner entièrement : c’est-à-dire donner de son temps, son énergie, son attention, ses qualités.
Dans la sexualité, cela va jusqu’à donner son propre corps, mais le don de soi va bien au-delà. Il comprend la personne en entier, jusque dans ses pensées et sa volonté. Un don total que Jésus a vraiment vécu, dans ses rencontres et ses relations et toute sa manière d’être. Un don tellement total qu’il est allé jusqu’à donner sa vie sur la Croix. Un don total et radical comme cela, on est invités à le vivre au quotidien. Pour franchir la montagne à plusieurs et se dire qu’ensemble, on va plus loin.
Jésus, ou comment un célibataire peut être un modèle pour le couple. Et un sacré modèle, si j’ose dire !
Léa Köves, pour Sagesse et Mojito
  1. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4281618#consulter 
  2. https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303338?sommaire=3353488
  3. Eli Finkel, The All-or-Nothing Marriage: How the Best Marriages Work, Penguin, 2017.
  4. Évangile de Jean, chapitre 15, verset 13.

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